Vers la fin de l’argent liquide : la BCE avance masquée

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Il y a des lectures qui glacent. Celle de ce projet de « nouvel euro », que la BCE se prépare à imposer aux peuples européens, appartient à cette catégorie. Une monnaie numérique d’État, pensée depuis des années dans les couloirs aseptisés de Francfort, loin des guichets où l’on paie encore en billets, loin des marchés, loin de la vie réelle. Une monnaie qui ne sonnera plus jamais dans la poche, qui ne se froissera plus, qui n’aura plus cette matérialité rassurante et anonyme qu’est le cash. Une monnaie faite pour un monde où tout se surveille, tout se comptabilise, tout se contrôle.

Pendant que l’usage des espèces recule – une évolution sociétale que personne ne conteste – la BCE se réjouit ouvertement de l’occasion d’aller plus loin. Beaucoup plus loin. Les chiffres servent d’alibi : seulement 52 % des paiements en zone euro se font encore en liquide. Ce recul, pourtant naturel à l’heure des terminaux numériques omniprésents, devient le prétexte idéal pour installer la nouvelle normalité : une monnaie totalement dématérialisée, centralisée, programmable.


Programmable : le mot n’est pas écrit, mais il flotte dans l’air comme une menace. Cette monnaie, que l’on pourra bloquer, plafonner, tracer. Ce portefeuille que l’on pourra surveiller, sans le dire, au nom évidemment de la sécurité, de l’innovation, ou de la lutte contre la fraude. Que deviennent la liberté et la discrétion qui accompagnaient l’usage des espèces ? Reléguées à un « mode hors ligne » présenté comme rassurant, mais déjà encadré, limité, surveillé par avance.

Ce qui dérange, c’est cette impression de bascule irréversible. L’abandon progressif d’une autonomie ancestrale : celle de pouvoir disposer de son argent hors du regard des institutions. Christine Lagarde peut répéter que l’euro numérique ne remplacera pas les billets, tout le monde comprend que l’histoire ne s’écrit jamais dans ce sens. Chaque nouveauté technocratique « complète » avant de « simplifier », puis finit par « rendre obsolète » ce qui existait avant.

Et que dire du coût ? Plus d’un milliard d’euros pour construire cette architecture. Des centaines de millions par an pour la maintenir. Sans compter l’infrastructure que les banques devront financer, probablement à perte. Un chantier gigantesque pour une innovation dont personne dans la population n’a vraiment exprimé le besoin. Le cash coûte cher ? Peut-être. Mais il n’a jamais rendu les citoyens vulnérables à un clic administratif, à une panne globale, à une crise numérique qui figerait soudain toutes les transactions.

Les défenseurs du projet parlent d’indépendance vis-à-vis des géants américains. D’autres murmurent qu’il faut rattraper la Chine et son yuan numérique. Une justification géopolitique, commode, alors qu’en réalité le risque principal se trouve chez nous : celui d’un outil qui permettra demain ce que la démocratie d’aujourd’hui jugerait impensable. Le suivi de chaque dépense, chaque mouvement, chaque transfert. La possibilité d’un jour conditionner l’usage de son propre argent. Une société entière rendue dépendante d’un dispositif centralisé.

Le cash, disent certains commentateurs, serait notre « dernière liberté ». Ce n’est pas une formule. C’est un constat simple : tant que l’on peut payer sans laisser de trace, on conserve une part de notre intimité, de notre marge de manœuvre, de notre insoumission tranquille. Retirez cela, et vous obtenez un citoyen cerné de tous côtés.

Ce « nouvel euro » arrive sans débat national, sans consultation populaire, avancé par une institution indépendante qui agit comme si son autorité suffisait à définir ce que sera demain la vie quotidienne de centaines de millions de personnes. L’inquiétude qui monte dans les commentaires, dans la presse, dans les conversations, est tout sauf irrationnelle. Elle traduit un instinct : celui qui se réveille quand on sent que quelque chose de précieux est sur le point de disparaître.

L’Europe d’aujourd’hui semble avoir oublié que la liberté se niche souvent dans de petites choses. Un billet de dix euros dans la poche, transmis de main en main sans explication, en fait partie. L’euro numérique, lui, semble fait pour un monde où la confiance ne circule plus, où la technologie supplante la liberté, où l’on préfère un peuple surveillé à un peuple autonome. Et dans cette perspective, oui : il y a de quoi être horrifié.

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