Témoignage poignant de Vincent, commissaire de police à la BAC, au procès des attaques du 13-Novembre :

Le 13 novembre 2015, je travaillais. J’ai reçu un sms d’un de mes collègues me disant de faire vite car des attaques étaient en cours dans Paris.

J’ai enfilé très vite ma tenue, récupéré un fusil à pompe. J’ai voulu m’équiper en gilet pare-balle et casque lourds mais c’était un équipement mutualisé à l’époque. J’ai pas eu de casque, seulement mon casque de maintien de l’ordre qui n’avait pas grande utilité.

Nous nous sommes positionnés sur la rue Oberkampf, on entend des coups de feu. Et on entend notre patron qui est déjà à l’intérieur du Bataclan et nous demande avec insistance de le rejoindre. Sauf qu’un gradé fait barrage et nous dit de rester au niveau de la rue.

J’en profite pour appeler mon épouse qui est infirmière-puéricultrice et est au travail. Elle ne sait pas ce qui est en train de se passer. Je lui dis juste que je l’aime, que ça va bien se passer et je raccroche.

On se rapproche doucement du Bataclan.

Au fur et à mesure qu’on se rapproche, on commence à distinguer des corps sur le trottoir. A l’entrée, il y a un vigile sur une chaise avec une balle dans la tête. Notre patron nous dit qu’il y a encore deux terroristes à l’intérieur et qu’il va falloir entrer.

Notre patron nous dit aussi que si quelqu’un ne se sent pas de rentrer, il n’y a pas de problème. Mais je crois que ça n’est dans l’esprit de personne en fait. Donc on entre.

Quand on entre, la vision est inimaginable. Il y a une odeur de poudre, de sang, de mort en fait. On ne voit même plus le sol tellement il y a de gens couchés dans la fosse.

Je décide de prendre une position. Quand je m’accroupis, je sens quelque chose au niveau de mon genou. Et en fait c’est le visage d’une personne qui a une plaie béante au niveau de la tête. J’essaie de faire abstraction de ce qu’il y a autour. Mais c’est impossible.

Il y a cette femme, défigurée, qui me regarde. Et je la regarde aussi. Mais comme les terroristes sont encore là, ce n’est pas sécurisé et on ne peut pas intervenir. Ca dure longtemps, je suis intimement persuadé que je ne vais pas sortir de là.

À un moment, notre patron dit aux valides de sortir calmement. La personne avec la blessure au niveau de la joue se lève et sort en passant à côté de moi. Je l’ai revue dans la salle tout à l’heure et je suis tellement content qu’elle s’en soit sortie.

La BRI intervient, Vincent et ses collègues quittent le Bataclan.

On retourne à notre base. Notre patron nous explique qu’il faut qu’on essaie de décompresser. Mais c’est compliqué. On a tous du sang et des lambeaux de chair sur nos habits. C’est cauchemardesque.

Derrière, moi, je suis parti en grande dépression. Je ne pouvais plus sortir de chez moi sans arme. J’ai des insomnies phénoménales. J’allais tellement mal qu’au bout d’un an mon épouse a jeté l’éponge et on s’est séparés. Ça a été compliqué de se reconstruire.

Je suis toujours à la BAC 75N, j’adore mon travail. Maintenant, la donne a changé : on est mieux équipés, on est formés. On est intimement persuadés que ça va se reproduire à un moment ou un autre, mais on a tous inclus ça dans notre esprit. Et on ira.

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