Nous reproduisons ici un texte publié sur sa page Facebook par Jean-Luc Mélenchon.

Comme ceux qui me lisent, je vis la fin d’année politique la plus motivante de ma longue vie d’engagements. J’ai donc le cœur plein de gratitude pour ces gilets jaunes qui mènent avec tant de bon sens, tant de sang-froid, tant de constance, le combat pour libérer notre pays des chaines de l’argent roi. Je mesure que dire cela en une phrase de ce marbre, c’est s’exposer à l’ironie des pomponnés. Mais je ne peux pas renoncer au plaisir que ces mots me donnent. Il n’y a pas de plus grand bonheur pour qui épouse ses rêves que ce matin qui se lève avec leurs couleurs.

La révolution citoyenne des gilets jaunes est une des meilleurs choses qui nous soit arrivée depuis si longtemps. L’histoire de France a pris un tournant qui a déjà ses répliques dans nombre de pays. Quel bonheur c’est là. Je m’amuse des ironies de l’histoire. Il y en a tant ! La plus suave c’est de voir l’action de monsieur Éric Drouet. Je ne le connais pas. Je l’écoute, je le lis et je vois en lui la même sage et totale détermination que chez madame Priscilla Ludosky. Je les vois se tenir à distance des pièges grossiers qui leur sont tendus à intervalles réguliers par les terribles adversaires qu’ils affrontent à mains nues. Leur surgissement, leur incroyable aptitude au combat sidèrent ceux qui regardent le peuple de haut.

La France est pleine de ces personnages qui marquent son histoire comme autant de cailloux blancs. C’est pourquoi je regarde Éric Drouet avec tant de fascination. Comment est-ce possible ? Drouet ? Il porte le nom d’un personnage dont Napoléon a dit « sans vous l’histoire de France aurait été toute différente ».

Car il y a déjà eu un Drouet décisif dans l’histoire révolutionnaire de la France.

Drouet, c’est cet homme qui a observé attentivement cette diligence bizarre sur la route de Varennes en juin 1791. Il a reconnu le passager. C’était le roi Louis XVI fuyant Paris, le peuple et la révolution. Son sang n’a fait qu’un tour ! Il alerte un copain et les voilà qui chevauchent à travers bois pour atteindre Varennes avant le fuyard. A la sortie de la bourgade, au-delà d’un pont, attendaient des troupes qui devaient accompagner le roi dans sa fuite. Drouet y arrive pendant que le roi fait halte chez le premier adjoint au maire de Varennes, l’épicier monsieur Sauce (ça ne s’invente pas). Drouet s’active. Il mobilise les gens qui étaient à l’auberge du village pour construire une barricade. Elle barre bientôt le pont et coupe la route au roi.

Ce Drouet-là est un vrai modèle dans ce qu’est une révolution populaire : on n’attend pas les consignes pour agir ! Le peuple qui accourut pour ramener le roi à Paris, les soldats qui refusèrent de passer en force sur le pont, tous ont pour point de départ la situation créée par Drouet. Sa vie ensuite restera à l’image de ce moment. Il sera présent dans nombre des épisodes décisifs de la grande révolution de 1789.

Sur le seul tableau à l’Assemblée nationale montrant un épisode de cette Révolution française, on le voit, lui Drouet, un pistolet à la main, menaçant le président de séance un jour où les sans-culottes parisiens avaient envahi l’hémicycle de l’Assemblée nationale. Les sans-culottes exigeaient l’arrestation des députés qui servaient la soupe à un gouvernement protecteur des riches, fermé aux demandes populaires, inerte devant l’envahisseur après avoir provoqué la guerre. Naturellement, ce revolver et toute la violence de la scène ont été peints pour déprécier le mouvement populaire et stigmatiser sa « violence ». Et ce tableau n’est d’ailleurs exposé que pour cela encore aujourd’hui. Pourtant, pour ma part, chaque fois qu’un groupe de visiteurs passe par là et que je m’y trouve, je lui commente le tableau. Et je lui parle de ce Drouet comme d’un modèle de citoyen qui sait aller à l’action révolutionnaire sans tortiller, pour faire vivre la République. « Ce n’est pas légal » hurlaient les réactionnaires de l’époque. « Et alors ? » demande Robespierre. La chute de la Bastille non plus, réplique-t-il, la proclamation de la fin de la royauté pas davantage ! De nos jours nous pourrions argumenter à l’inverse : « l’esclavage c’était légal, le droit de vote réservé aux hommes c’était légal, la monarchie présidentielle c’est légal, les privilèges fiscaux c’est légal, la suppression de l’ISF c’est légal, l’usage du glyphosate c’est légal ». S’est-on jamais débarrassé de la cruauté d’un ordre légal autrement que par la lutte ? Et les puissants ont-ils jamais fait autre chose que de dénoncer la violence de ceux qui leur résistaient ?

J’en finis avec mon clin d’œil historique. Le Drouet de Varennes est resté un révolutionnaire républicain jusqu’à son dernier souffle, dans une vie pleine de rebondissements. La religion républicaine, la passion pour le programme que contient sa devise « liberté, égalité, fraternité », disent un message universel. La langue républicaine des Français fracasse les bastilles des puissants. Elle comble les gouffres du temps avec des ponts de mots brulants et d’espérances invaincues.

Monsieur Drouet, on vous retrouve avec plaisir. Puisse cette année être la vôtre, et celle du peuple redevenu souverain. Puisse-t-elle être celle de la fin de la monarchie présidentielle, et du début de la nouvelle république. Sur le seuil de ce début d’année prometteur, pour saluer tous les gilets jaunes et l’histoire dont ils sont les dignes héritiers, je vous dis « merci, monsieur Drouet ».

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