L’art de la conversation est sans aucun doute un des éléments essentiels de la civilisation française. C’est un art fait de subtilités, dans lequel on peut se dire des horreurs pourvu que ce soit toujours dans un ton policé, sans couper son interlocuteur, sans jamais tomber dans l’éclat, l’insulte ou l’énervement sous peine d’être déshonoré. Si l’offense était vraiment trop grande, restait la possibilité d’en demander réparation sur le pré. Perspective qui limitait de façon très efficace les outrances et les outrages.

Cet art est arrivé à son apogée au XVIIIe siècle. Patrice Leconte en a donné un aperçu dans « Ridicule ». Si les salons où il se déployait à son aise, sous l’arbitrage de nobles dames, n’existent plus, il perdure, au moins en tant que modèle, dans les débats, culturels, philosophiques ou politiques, qui existent sur les différentes chaînes de radio ou de télévision. On peut penser à « Répliques », émission de France Culture dirigée par Alain Finkielkraut, « La Grande Librairie », présentée par François Busnel sur la 5 ou encore « Interdit d’interdire » de Frédéric Taddéi sur RT France. Cet art du débat, dont la limite n’est plus posée par le duel mais par le procès, est difficile mais révélateur.

Difficile pour l’hôte qui doit composer une assistance qui évite l’écueil de l’entre-soi soporifique autant que celui des inimitiés telles qu’elles ne peuvent qu’engendrer le pugilat. On se souvient encore de l’émission de « Droit de réponse » où Michel Polac avait réuni des journalistes de Charlie Hebdo et de Minute. N’est pas Nobel qui veut pour manier Nitro et Glycérine. Dans cet exercice, on n’attendait pas Cyril Hanouna. L’image qui nous avions de son émission « Touche Pas à Mon Poste » à travers des extraits circulant sur les réseaux sociaux était plus proche de la foire d’empoigne que du débat policé. L’annonce de son émission « Face à Baba », avec Éric Zemmour comme invité, laissait donc craindre le pire, surtout avec un titre d’une vulgarité certaine. Nous avions tort. Pendant les plus de trois heures de l’émission, M. Hanouna non seulement n’est pas tombé dans le grotesque auquel il a pu céder dans le passé, ni dans le guignol, mais a su animer les débats en calmant les uns, relançant les autres, distribuant la parole. Avec une impartialité dont des journalistes politiques pourraient s’inspirer.

Mais cet art est surtout révélateur pour les protagonistes. Commençons par les interlocuteurs d’Éric Zemmour.

Il y a eu les amis ou les compères : Éric Naulleau et Christine Kelly. Ils ont apporté un éclairage sur l’humanité du candidat d’autant plus intéressant qu’ils ne sont pas des soutiens politiques. On savait qu’ils étaient ami ou professionnelle, l’entretien l’a confirmé.

Il y a eu le soutien, Stanislas Rigault, 22 ans : « aux âmes bien nées la valeur n’attend point le nombre des années ». Son aplomb et son à propos face aux invectives d’Alexis Corbière méritent bien qu’on fasse appel à Corneille pour le qualifier.

Il y a eu les contradicteurs. Parfois opposants rudes mais courtois, comme Mathias Wargon. Parfois proches politiquement, comme Charlotte d’Ornellas, que la tournure des débats a empêché de donner toute la mesure de son talent. Toujours professionnels, comme Éric Revel, spécialiste de l’économie, qui termina en accordant que le programme économique de Zemmour est cohérent et sérieux.

Il y a eu Élisabeth Moreno, ministre déléguée à l’égalité femmes-hommes, à la Diversité et à l’Égalité des chances (reprenez votre respiration), reprenant en boucle les mêmes scies contre l’essayiste, sans même tenir compte de ses réponses. Ministre du gouvernement français ne sachant pas distinguer une analyse d’une opinion… De Castex à Moreno, en passant par de Montchalin ou Véran, ce gouvernement vérifie l’adage selon lequel pour paraître brillant, il suffit de s’entourer de personnes médiocres.

Enfin il y eut les cuistres et les malotrus. Aymeric Caron, préférant l’émotion à la réflexion, qui se demande si Zemmour fait partie de l’humanité. Mécanisme classique des totalitaires qui excluent leurs ennemis de l’humanité pour justifier leur massacre. Mais peut-être, pour le militant antispéciste préférant les animaux aux hommes, était-ce là un compliment ? Il y eut ensuite Karim Zéribi et Alexis Corbières, pérorant de longues minutes, interrompant sans cesse leur vis-à-vis, l’accusant des maux qu’eux-mêmes sèment. Car comment croire que c’est Zemmour qui suscite la violence quand ce sont ses réunions qui sont attaquées ? Comment croire que le danger vient de lui quand il est menacé de mort par l’islamo-gauchisme ? Ces militants d’extrême-gauche ont montré que pour eux le débat n’est qu’un pis-aller quand on ne peut pas supprimer physiquement un adversaire, comme aux plus grandes heures des révolutions française ou soviétique, de la Révolution culturelle maoïste ou des Khmers rouges.

Mais à l’évidence, ce qu’a surtout révélé cette émission c’est la maîtrise et la supériorité d’Éric Zemmour. Toujours calme, même face aux provocations, esquissant juste un sourire narquois. Déroulant ses arguments, chiffres à l’appui, sans note. Émaillant son propos de citations de grands auteurs ou d’exemples historiques sans pédanterie. Clouant ses interlocuteurs de quelques formules cinglantes (« La France, ce n’est pas Mac Donald, on ne vient pas comme on est », « M. Caron a de la tendresse pour les moustiques, moi pour les Français »). Du grand art pendant plus de trois heures.

Incontestablement Éric Zemmour est la révélation de cette campagne qu’on annonçait si terne. De son annonce de candidature à ce « Face à Baba » en passant par son « Serment de Villepinte », il élève le niveau du débat. Ferait-il un bon Président de la République ? On ne peut le dire. Mais il est certain qu’il est pour l’instant le meilleur candidat à l’élection présidentielle.

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