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Xavier Driencourt est diplomate. Ancien directeur général de l’administration du Quai d’Orsay, chef de l’Inspection générale des affaires étrangères, il a été ambassadeur de France à Alger à deux reprises, entre 2008 et 2012, puis entre 2017 et 2020. Il a publié un livre retraçant son expérience: L’Énigme algérienne. Chroniques d’une ambassade à Alger (Éditions de l’Observatoire, 2022). Il a répondu à quelques questions de nos confrères du Figaro. Extraits.

Notre aveuglement est une erreur historique: croire à Paris qu’en allant à Alger, en cédant aux Algériens sur les dossiers qui leur sont chers, mémoire et visas, nous les gagnerons à notre cause et les amènerons vers plus de coopération est un leurre. Les militaires qui dirigent le pays n’ont pour leur part ni état d’âme ni scrupules quand il s’agit de la France : là où nous voyons un discours rationnel et des arguments cartésiens, eux voient inconsistance, naïveté, méconnaissance du système, et pour tout dire angélisme. J’imagine les regards échangés lorsque, après le départ de nos dirigeants, conférence de presse expédiée et communiqué signé, ils reviennent à leurs occupations avec le sentiment d’avoir, une nouvelle fois, embobiné leur partenaire par un discours culpabilisateur.

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Tout ceci serait simplement triste si les conséquences de cette sinuosité politique n’impactaient pas la France : l’Algérie va mal, beaucoup plus mal que les observateurs ou les rares journalistes autorisés le pensent ; 45 millions d’Algériens n’ont qu’une obsession : partir et fuir. Partir où, si ce n’est en France, où chaque Algérien a de la famille ? On ne compte plus aujourd’hui ceux qui demandent un visa dans le seul but de ne faire qu’un aller simple, c’est-à-dire de rester d’une façon ou d’une autre en France avec l’espoir d’être un jour régularisé. Les choix désastreux de 1962, la crise économique, la corruption née de la rente pétrolière, le découragement non seulement des élites des grandes villes du Nord, mais aussi du peuple des campagnes et de l’Algérie profonde, découragement stimulé par la générosité de la France, font qu’à ce rythme-là peu de gens resteront en Algérie. Le prix de notre aveuglement ou de nos compromissions s’appellera donc immigration massive, sans rapport avec ce qu’elle est aujourd’hui, islamisme conquérant, ghettoïsation de nos banlieues, repentance mémorielle.

La France fait face à un double paradoxe : d’une part celui de l’alliance, autrefois contre nature, entre une armée antifrançaise et des islamistes qui nous détestent, les deux ayant en commun la haine de la France et la ferme volonté d’éradiquer les survivances linguistiques ou culturelles de la colonisation tout en nous faisant payer, par l’émigration et les excuses, le prix de notre passé colonial ; le second paradoxe est celui, soixante ans après l’indépendance algérienne, de traîner toujours et encore le problème algérien auquel précisément les accords d’Evian devaient mettre fin. L’Algérie, en ce sens, a gagné le combat contre l’ancien colonisateur : elle reste un problème pour la France, elle s’effondre, mais risque d’entraîner Paris dans sa chute.

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