Et si on arrêtait de faire des fonctionnaires les boucs émissaires de la République ?
Tout le dossier : FonctionnairesÀ chaque saison son refrain. Cette fois encore, pour faire des économies, l’exécutif rouvre le vieux tiroir des « postes de fonctionnaires à supprimer ». Et c’est reparti : trop nombreux, trop coûteux, pas assez productifs — le procès est sans fin, les arguments toujours les mêmes, usés jusqu’à la corde. Dans le rôle du duo d’ajusteurs : Éric Lombard et Amélie de Montchalin, bien décidés à rogner dans le vif. Sauf que le « vif », ce sont des femmes et des hommes qui font tourner la machine publique. Et sans eux, rien ne marche.
Car qui sont ces fonctionnaires que l’on désigne une fois de plus à la vindicte budgétaire ? Ce sont les professeurs qui tiennent debout une Éducation nationale à bout de souffle, les soignants de l’hôpital public, les policiers sur le terrain, les pompiers qui interviennent dans vos villages, les greffiers de justice, les conducteurs de bus municipaux, les agents de douane, les gardiens de prison, les chercheurs, les militaires, les bibliothécaires… Tous ceux sans qui la République ne serait qu’un mot creux.
Et l’on voudrait que l’intelligence artificielle les remplace ? Que l’État fusionne des agences, supprime des services, rabote encore et encore ? Qu’on compense le déficit de sens par une « culture du résultat » managériale, et que les fonctionnaires deviennent des variables d’ajustement comme dans une multinationale ? À force de vouloir gérer l’État comme une entreprise, on oublie que la France n’est pas un centre de profit.
Le fonctionnaire n’est pas une dépense, c’est un pilier. C’est une promesse faite au citoyen que l’école de son enfant, la sécurité de sa rue ou le traitement de son dossier social ne dépendra pas de son compte en banque. Ce qu’il coûte, c’est ce que coûte l’égalité républicaine. Une société qui n’investit plus dans ses agents publics devient vite une société à deux vitesses — celle des services premium pour les plus riches et des guichets fermés pour les autres.
Les hausses de rémunération ? Parlons-en. Depuis des années, les fonctionnaires voient leur pouvoir d’achat s’éroder. Le point d’indice, gelé, n’a pas suivi l’inflation. Les conditions de travail, elles, se sont durcies. Et malgré cela, ils tiennent. Ils soignent, enseignent, protègent, accueillent. Et on leur répond par des discours d’austérité, alors qu’il faudrait saluer leur engagement.
On comprend bien que les comptes publics doivent être maîtrisés. Mais qui aura le courage politique de poser la vraie question : pourquoi ce sont toujours les mêmes qu’on sacrifie ? Pourquoi les milliards d’euros de niches fiscales, d’évasions non combattues, de dividendes dopés à la défiscalisation ne sont-ils jamais mis sur la table ? Pourquoi la priorité serait-elle de rassurer les « investisseurs », mais jamais les enseignants, les policiers, les soignants ?
La France ne se relèvera pas en pressant toujours davantage ses serviteurs publics. Elle se relèvera en les respectant, en les écoutant, en leur redonnant les moyens de bien faire leur travail. Les fonctionnaires, loin d’être une charge, sont notre filet de sécurité collective, notre mémoire vivante, notre colonne vertébrale.
Alors oui, arrêtons de faire des économies sur le dos de ceux qui tiennent encore debout la maison République. Car si les fondations craquent, ce ne sont pas les marchés qui viendront nous sauver.