Un an jour pour jour après son coup de poker raté, Emmanuel Macron accueille à Nice une grande conférence sur les océans. Clin d’œil involontaire ? Ironie du sort ? On croirait voir un capitaine contemplant l’horizon infini pour oublier le naufrage dont il est l’auteur. Car depuis sa dissolution surprise du 9 juin 2024, plus personne ne tient vraiment la barre en France — surtout pas lui.

Officiellement, le chef de l’État n’a jamais regretté sa décision. Mieux : il persiste et signe. En bon technocrate devenu monarque républicain, Emmanuel Macron considère encore aujourd’hui avoir eu raison contre tout le monde — ses ministres, ses députés, ses alliés, ses électeurs. Dans son monde, gouverner seul, c’est gouverner mieux. Malheureusement, dans le réel, ça donne un pays paralysé, une Assemblée fracturée, un président relégué au rôle de VRP multilatéral.

Car depuis la déroute législative qui a suivi, Emmanuel Macron n’est plus qu’un président à la découpe. L’autorité intérieure ? Déléguée bon gré mal gré à Michel Barnier, puis à François Bayrou, que le président a dû nommer à Matignon comme on avale un médicament amer. L’agenda des réformes ? Remisé. La majorité ? Évaporée. Ne lui reste plus que le prestige des sommets internationaux, où il peut faire illusion, entouré de dirigeants étrangers encore trop polis pour lui rappeler son affaiblissement.

Mais même sur la scène internationale, la magie ne prend plus. Le président qui se voulait Jupiter est devenu un canard boiteux — version azuréenne, avec costume bien repassé, discours sur le climat et bouées diplomatiques pour flotter encore un peu. Pendant ce temps, à Paris, les députés, les ministres et les électeurs se demandent toujours à quoi a bien pu servir cette dissolution si ce n’est à précipiter une fin de règne que l’on pressentait déjà désincarnée.

La réalité, c’est que le président Macron a confondu panique et stratégie. Humilié par le score de 14 % de sa liste aux européennes — une gifle qu’il n’a ni digérée ni comprise —, il a voulu reprendre l’initiative. Il a « redonné la parole au peuple », comme il le dit avec cette superbe verticale dont il a le secret. Résultat : le peuple a répondu, mais pas comme prévu. Trois blocs irréconciliables, une majorité introuvable, et un président hors-jeu. Il a voulu faire du Machiavel, il a accouché du chaos.

Depuis, le locataire de l’Élysée tente de recoller les morceaux avec les députés qu’il a lui-même envoyés à l’abattoir. Déjeuners par grappes, séances de câlinothérapie, regards humides et sourires forcés. Mais la fracture est là. Et dans les travées du Palais Bourbon, les élus centristes n’ont plus foi que dans une chose : que leur chef suprême ne touche plus au bouton nucléaire avant 2027. Car dans la Constitution, le droit de dissoudre sera de nouveau actif dès le 8 juillet. Frissons garantis.

Et le plus inquiétant, c’est qu’il pourrait bien recommencer. Car Emmanuel Macron ne doute pas. Jamais. Il ne revient pas sur ses erreurs. Il les magnifie. Il ne consulte pas. Il décide. Son entourage le dit lui-même : « Il pense que l’avenir lui donnera raison. » En attendant, ce présent sans boussole, c’est le nôtre.

La France méritait mieux qu’un président en roue libre, s’imaginant encore maître du jeu alors qu’il est devenu spectateur de sa propre impuissance. En attendant, il cause d’océans, de gouvernance planétaire, de diplomatie climatique. Le navire national prend l’eau, mais à Nice, le capitaine sourit : la mer est belle, et le décor aussi.