Chaque jour, des milliers d’habitants, commerçants, parents, salariés, passent par le tunnel des Halles, au cœur de Paris. Et chaque jour, ils se demandent s’ils vont ressortir indemnes de cette traversée devenue surréaliste. Tensions, bagarres, seringues, épaves humaines au sol : une scène digne d’un pays en décomposition. Et personne ne semble s’en émouvoir — sauf ceux qui la subissent.

Delphine, boulangère, confie au Parisien qu’elle redoute même de s’y aventurer en scooter. Stéphane, patron de café, voit sa clientèle fuir. Les habitants n’osent plus sortir le soir. Et il faudrait que ces gens-là, les Parisiens « de base », ferment les yeux, baissent la tête, courbent l’échine ? Pendant ce temps, on déplace les toxicomanes d’un quartier à l’autre comme des pions, à la faveur d’une fermeture de centre, d’un réaménagement, d’un événement international. Résultat : après Stalingrad, après la Villette, les Halles. Et demain ?

Des scènes hallucinantes se répètent sous les pieds des touristes : agressions au tournevis, batailles à la batte de base-ball, hurlements, tensions permanentes. Les riverains n’en peuvent plus. « Je prie pour ne pas tomber en panne », dit un automobiliste lui aussi cité par Le Parisien. Est-ce normal d’en arriver là dans la capitale d’un pays du G7 ? Est-ce normal qu’une mère de famille vive avec cette angoisse permanente à deux pas du Louvre ?

Mais que fait la mairie ? Où sont les élus ? Où est l’État ? Le seul réflexe visible consiste à nier, à lisser les images, à attendre que cela passe. L’enfer quotidien des Parisiens est gommé au profit d’un discours compassionnel abstrait sur les « usagers ». Or, la première compassion, celle qu’on oublie toujours, c’est celle qu’on doit aux familles, aux enfants, aux commerçants qui subissent, en silence, depuis des années.

Non, il n’est pas « stigmatisant » de vouloir vivre en sécurité. Non, il n’est pas « répressif » de refuser la loi de la jungle sous ses fenêtres. Et non, il n’est pas « inhumain » d’exiger que l’espace public reste vivable, même à Paris.

La ville-lumière est en train de sombrer. Et les Parisiens, eux, n’ont plus que leurs larmes — et leur colère.