Il est de ces métiers où l’on ne meurt jamais. Et à ce jeu-là, Jean Castex est un orfèvre. Après avoir quitté Matignon sans gloire, le voilà qui s’apprête à enfiler un nouveau costume d’apparatchik en chef : celui de PDG de la SNCF. Une récompense de plus dans une République où les anciens Premiers ministres ne prennent pas leur retraite, ils changent juste de fauteuil.
On pourrait parler de mérite. D’expérience. De continuité républicaine. Mais à ce niveau de recyclage, il faut surtout parler d’un entre-soi sidérant, d’un entrelacs de réseaux, de clins d’œil en coulisse et de promesses glissées à l’oreille. Jean Castex, à peine installé depuis deux ans à la RATP — où il n’a pas franchement révolutionné la mobilité urbaine — va donc monter en grade. En douce. Comme un train fantôme sur une voie désaffectée.
Petit carnet, gros carnet de chèques
L’ancien maire de Prades coche toutes les cases de l’époque : il sait parler aux syndicats, il sait surtout signer. Et comme le métro ne s’est pas totalement effondré durant les JO, on s’empresse de le féliciter d’avoir su tenir un cap que même un stagiaire en pilotage automatique aurait pu conserver. Qu’importe. En République des copains, ce genre de CV suffit pour être bombardé à la tête de l’opérateur ferroviaire national.
Sauf qu’il fallait attendre un peu. Car la HATVP, Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, veille. Pas pour sanctionner. Non, simplement pour vérifier que la rotation des postes entre haute administration et entreprises publiques respecte les délais de décence légale. Résultat : le gouvernement temporise. Jean-Pierre Farandou prolonge en intérim, malgré la limite d’âge, pendant que les services de l’État peaufinent le timing idéal pour recaser l’ami Jean.
Cheminot d’apparat, réseau permanent
On nous vend cette nomination comme logique. Évidente. Castex « aime le train », nous dit-on. Il a même écrit un livre sur une ligne locale. C’est dire s’il est qualifié. Pendant ce temps, combien d’ingénieurs, de cadres expérimentés, de techniciens passionnés, eux, n’auront jamais la moindre chance d’accéder à ce poste prestigieux ? Ils n’ont pas fréquenté les bancs de l’ENA. Ils n’ont pas passé des années à serrer les mains des bons ministres.
Alors que le service public se délite, que les retards s’accumulent, que les usagers trinquent, que les billets flambent, on recycle encore et toujours les mêmes têtes, avec le même sourire autosatisfait. On ne réforme rien, on se refile les commandes. Et on nous parle de méritocratie.