On le croyait définitivement rangé dans la galerie des statues poussiéreuses de la droite, condamné aux confidences nostalgiques et aux apparitions feutrées. Nicolas Sarkozy n’a pourtant rien perdu de ce goût pour les gestes inattendus qui déstabilisent tout l’échiquier. Dans son livre comme dans ses propos récents, l’ancien président affirme sans détour qu’il ne se ralliera pas au fameux « front républicain » contre le Rassemblement national. Une phrase courte, presque anodine, mais qui a l’effet d’un pavé lancé dans un rituel devenu mécanique.
Depuis des années, on nous rejoue la même pièce : la droite traditionnelle se doit de tendre la main à une gauche qui la méprise, sous prétexte d’un péril fantasmé, afin d’empêcher les électeurs du RN de peser réellement. Ce front n’a jamais été un accord, mais une injonction morale, agitée comme un chapelet. Qu’un ancien chef de l’État refuse désormais d’y sacrifier confirme que la liturgie républicaine ne fonctionne plus.
Il faut dire que Sarkozy, dans sa situation actuelle, sait parfaitement qui l’a soutenu et qui s’est détourné de lui. Et il n’a rien oublié de la froideur macronienne, de la manière dont le pouvoir en place s’est lavé les mains du retrait de sa Légion d’honneur, ou du silence gêné d’une partie des siens. Pendant que certains regardaient ailleurs, les dirigeants du Rassemblement national lui ont envoyé des messages de solidarité. Cela n’efface rien des divergences, mais cela suffit à changer le regard d’un homme que l’épreuve a rendu plus lucide.
Son refus du front républicain n’est pas une adhésion au programme du RN ; c’est un constat. Insulter en bloc les électeurs du RN revient à insulter une fraction immense du pays. Continuer à les brandir comme des intouchables, c’est refuser d’admettre les fractures profondes qui parcourent la France. Le vote populaire n’a plus envie de recevoir des leçons de morale de ceux qui n’ont rien vu venir depuis vingt ans.
Le geste de Sarkozy signifie surtout que la droite classique n’a plus de raison de s’enchaîner à un mécanisme qui ne lui a apporté que des déconvenues. À force de se sacrifier au nom d’un front qu’elle ne contrôle pas, elle a perdu son électorat, son identité et sa cohérence. Renoncer à cette comédie, c’est reprendre un peu d’air.
Bien sûr, les professionnels de l’indignation s’empressent de dénoncer « l’irresponsabilité » de l’ancien président, comme si la vertu civique consistait à prolonger indéfiniment une stratégie périmée. La vérité, c’est que le front républicain ne tient plus que par l’habitude et la peur de reconnaître son échec. Sarkozy, lui, a simplement dit tout haut ce que beaucoup pensent tout bas.
Le paysage politique français est à un tournant. Ce n’est pas le Rassemblement national qui vient de remporter une victoire idéologique ; ce sont les vieilles barrières morales qui s’effondrent. La droite se décomplexe, les alliances ne seront plus dictées par l’anathème mais par le réel, et l’on découvre que le pays n’a pas à éternellement se ranger derrière des réflexes datant d’un autre siècle.
Qu’un ancien président ouvre la brèche est un signe. Ce qui paraissait impensable hier devient une évidence aujourd’hui. Et demain, il faudra bien accepter que la démocratie ne peut fonctionner qu’en respectant tous les électeurs, même ceux que les cercles ministériels rêvent encore de diaboliser.
