La droite européenne a pris l’habitude de promettre des murs en campagne et d’installer des tourniquets une fois au pouvoir. L’Italie n’échappe pas à la règle. Giorgia Meloni, portée par une rhétorique de souveraineté, en arrive désormais à calibrer ses besoins en main-d’œuvre comme on rédige un plan comptable. Les chiffres remontent : 450 000 travailleurs étrangers prévus entre 2023 et 2025, saisonniers compris. Une trajectoire assumée, présentée comme rationnelle, presque mécanique, et surtout indispensable à l’économie.
Ce mot, « indispensable », revient sans cesse. Les gouvernements européens s’en servent comme d’une clé passe-partout : pénurie de bras, vieillissement, retraites, services publics… Plutôt que de soutenir leurs propres jeunes, on importe. Plutôt que d’aider les familles à avoir des enfants, on explique que l’ouverture des frontières résoudra tout. En Italie, le récit est désormais verrouillé : l’immigration n’est plus une question identitaire, c’est un outil d’ajustement. Un tableau Excel, pas un choix de civilisation.
Les électeurs, eux, n’avaient pas voté pour ça
Ils espéraient une rupture franche avec l’ère Draghi, une politique qui remettrait la nation au centre, un coup d’arrêt aux flux. Ils découvrent qu’on modifie surtout la terminologie. On ne parle plus « d’invasion », mais « d’immigration choisie ». On ne promet plus la fermeture : on promet la sélection. Une sélection dont la logique n’a rien de politique : elle répond exclusivement aux besoins des entreprises. Restaurations, chantiers, agriculture, services à la personne : la liste est connue. C’est ce secteur privé qui dicte la cadence, et l’État qui obéit.
La communication tente de compenser. On brandit quelques mesures restrictives pour rassurer la base : contrôles, procédures durcies, limites sur le regroupement familial. Le message détourne l’attention pendant qu’on signe les quotas. C’est le mouvement inverse de ce qui est affiché : un durcissement du discours, un assouplissement des flux.
Le problème dépasse l’Italie. Toute l’Europe observe cette évolution, et surtout la facilité avec laquelle les électeurs peuvent être neutralisés. On leur explique qu’il n’y a pas d’alternative. Bruxelles surveille, les marchés attendent, les démographes alertent, les ministères calculent. Les États obéissent, même quand leurs promesses étaient différentes.
À Rome, la « méthode Giorgia » est devenue un révélateur
Elle montre que même les dirigeants qui prétendaient incarner la rupture s’insèrent en quelques mois dans la matrice technocratique européenne. On discourt comme une patriote, on gouverne comme un gestionnaire de flux migratoires. Le langage change, pas la trajectoire.
Les conséquences se voient toujours au même endroit : dans les quartiers populaires, dans les écoles et dans les hôpitaux. Ce sont les Italiens qui devront absorber cette nouvelle transformation démographique, alors que personne ne leur a demandé s’ils la souhaitaient. Leur seul rôle, dans cette mécanique, consiste à continuer de voter pour des dirigeants qui renoncent ensuite aux engagements qu’ils affichaient la veille.
L’Italie sert aujourd’hui de signal d’alarme. Elle démontre que la droite de gouvernement, une fois installée, n’affronte plus le système : elle s’y ajuste, elle s’y dissout, elle en devient même l’exécutante disciplinée. Les quotas remplacent la souveraineté, la communication remplace le courage, et la « fermeté » se réduit à quelques formules choc.
Le jour où un pays européen osera enfin dire que les nations ne sont pas des réservoirs de main-d’œuvre mais des héritages vivants, alors peut-être qu’une politique réellement alternative émergera.
Ce jour-là, on ne parlera plus d’immigration « choisie », mais d’un peuple qui choisit son avenir.